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Paroles paysannes. Thierry Desvaux, un amoureux de la terre, engagé dans les échanges paysans

A 63 ans, Thierry Desvaux, agriculteur dans l’Yonne, membre d’Afdi, est toujours prêt à partager avec enthousiasme son expérience de transition vers une agriculture de conservation. Il nous parle ici de son métier, de son engagement et son action pour renforcer les échanges paysans internationaux.

L’agroécologie, une prise de conscience professionnelle majeure

« En reprenant l’exploitation familiale, j’ai pratiqué les agricultures dites conventionnelles, telles que je les avais apprises. Pendant plusieurs années, j’ai obtenu de très bons rendements et c’était économiquement intéressant ».

Son orientation vers l’agroécologie est issue d’une prise de conscience personnelle, de son intérêt pour la vie du sol et de son envie de « produire mieux ». Dès les années 2000, il se documente, se forme seul, effectue régulièrement des analyses de sol, et remarque que sur son exploitation, au cours des vingt dernières années, le taux de matières organiques a tendance à baisser, appauvrissant ainsi ses sols.

Suite à ces constats, il crée, avec cinq autres exploitants, la SEP (société en participation entre personnes physiques) de Bord, en 2009, qui rassemble quatre exploitations voisines en un assolement commun. « C’était difficile de faire une transition tout seul, j’en ai parlé à des voisins et on a visité un assolement commun. Il y a eu une émulation, une dynamique de groupe qui a fait que cette période de transition difficile a été surmontable ».

Après 1 an de travail, 300 heures de réunions et sans conseil technique extérieur (qui était alors peu existant en France), ils décident d’arrêter le travail du sol, de réintroduire de la biodiversité, et de pratiquer l’agriculture de conservation des sols. « On a vendu toutes les charrues, tous les outils de travail du sol et on a acheté du matériel qui convenait mieux à ces nouvelles pratiques ».

Un groupe d’agriculteurs précurseurs dans l’obligation d’inventer 

L’agriculture de conservation est un ensemble de techniques culturales qui favorise et maintient le potentiel agronomique des sols. Ce type d’agriculture vise un travail minimal du sol et un renforcement de la biodiversité au-dessus et au-dessous de la surface, par une limitation de l’utilisation de produits phytosanitaires et des engrais*. Pourtant, la transition n’est pas facile, il n’existe pas à ce jour d’accompagnement financier pour l’agriculture de conservation, contrairement à ce qui se fait pour l’agriculture biologique. « Les premières années ont été difficiles, quand on arrête de travailler le sol, sa structure n’est pas habituée, les racines sont plus étouffées et on a une perte de production ». C’est la force des témoignages d’autres agriculteurs et les échanges paysans à travers le monde, qui ont aidé Thierry Desvaux à surmonter les difficultés liées à cette transition. « Ces pratiques se retrouvent tout à fait dans les pays du Sud, et c’est pour ça que j’accorde une grande importance à la rencontre et l’échange avec les agriculteurs des pays du Sud, il y a toujours un lien avec ce que je fais ici, sur mon exploitation ».

 

De l’Afrique à la COP27 : Afdi, un terreau d’inspiration professionnel

Ce regard différent qu’il porte sur l’agriculture, il le cultive notamment au sein d’Afdi, en étant engagé avec l’association sur le territoire en Bourgogne-Franche-Comté depuis plusieurs années. Il appuie les réflexions d’Afdi sur sa Stratégie climat, qui vise à accompagner les organisations paysannes des pays africains qui travaillent en faveur d’adoption de pratiques agricoles favorisant, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.  Cette stratégie est issue d’un long travail entre Afdi et ses partenaires, dont AgriCord (alliance internationale qui fédère 12 agri-agences de 10 pays) et les organisations paysannes (Réseau SOA à Madagascar, l’Uirec et la SCZSB en Côte d’Ivoire, la CNOP au Mali, la CTOP au Togo etc.).

En novembre dernier, il participe à la COP27 (27e Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques), avec comme objectif de porter la voix des agricultures familiales, qui sont à la fois directement impactées par le changement climatique et sources de solutions pour l’atténuation de ses effets. « Le développement des pratiques agroécologiques permet à l’agriculture de s’adapter aux bouleversements climatiques et de rendre les exploitations plus résilientes ». Il témoigne et présente l’exemple de son exploitation, sur laquelle il chiffre les baisses en consommation de carburant de l’ordre de 50%** par rapport aux exploitations du département de l’Yonne, et 40% d’économies en engrais grâce à la présence plus importante de matières organiques et la valorisation des effluents d’élevages. Mais aussi, une consommation de produits phytosanitaires réduite de 30%, valeur encore insuffisante à ses yeux. « Le résultat économique est bon, le résultat environnemental est très bon, par rapport à l’activité biologique et la régénération des sols. J’ai pu prouver que sur mon exploitation j’ai contribué à m’adapter et à atténuer le changement climatique ». Durant cette COP, il a également témoigné des actions agroécologiques réalisées par Réseau SOA à Madagascar, qui contribue au développement d’une agriculture soutenable en mettant en place un dispositif d’installation de jeunes agriculteurs, sur des fermes durables.

Il retient de la COP que l’agriculture est reconnue dans l’atténuation et l’adaptation du changement climatique. Il rappelle également la force de résonnance de la décision d’attribution d’un fonds pour les pertes et dommages, grâce à laquelle il espère qu’elle contribuera à renouer la confiance Nord/Sud.

Selon lui, l’enjeu majeur pour l’agriculture et l’action climatique est le financement de l’adaptation locale, notamment pour appuyer les transitions vers des systèmes alimentaires plus résilients s’appuyant sur l’agroécologie et l’agriculture régénérative. « Il faut poursuivre le travail avec les organisations paysannes africaines, et délivrer un plaidoyer efficace en faveur de l’accès direct de ces organisations aux financements ».

Pour les agriculteurs familiaux, directement confrontés aux effets du changement climatique, la transition vers des pratiques agroécologiques présente un intérêt, qui ne pourra s’accomplir sans une volonté politique : « il faut un plaidoyer visible des organisations paysannes et des agri-agences sur le climat, et sur ces formes d’agricultures régénératives, qui permettent de gagner en qualité sociale, économique et environnementale ».

 

* définition issue de l’APAD, Association pour la promotion d’une agriculture durable

** pourcentages en valeurs économiques et non en tonnage