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Fin des quotas laitiers européens: Quelles incidences pour la filière africaine ?

Les dossiers d’Afdi (Dossier « Lait » Partie 1)

Les incidences de la fin des quotas laitiers de l’Union Européenne, en avril 2015, sur la crise profonde connue par les éleveurs font polémique et amènent la Commission européenne à adopter des mesures correctives. En affirmant la vocation exportatrice de l’Europe, la fin des quotas laitiers suscite également de nombreuses craintes chez les producteurs des pays importateurs, en particulier africains. Face à une augmentation continue de la demande, le recours de l’Afrique au marché mondial oscille entre nécessité et menace pour la filière locale.

L’Afrique, un marché important pour le lait européen ?

La FAO estime que 7% de la production de lait fait l’objet d’une commercialisation sur le marché mondial, soit 55 millions de tonnes. L’essentiel de ces exportations sont réalisées, sous forme de poudres de lait ou de beurre, par trois grandes régions : les Etats-Unis, l’Europe et la Nouvelle-Zélande, qui couvrent 70% des exports. Au niveau des importateurs, cinq pays (la Chine, la Russie, l’Algérie, le Mexique et l’Egypte) représentent un tiers des achats mondiaux.

 

Dans ce contexte, l’Afrique pèse peu. Seulement 7% des exportations mondiales de produits laitiers sont destinées à ce continent, l’Algérie et l’Égypte représentant la moitié de ces importations. Néanmoins, si le marché africain est parfois considéré comme marginal, il est très porteur pour certains sous-produits, en particulier la poudre de lait entier. L’Afrique de l’ouest est un marché important de ce produit et absorbe 18% des exportations européennes entre 2011-2015.

La France et le marché laitier africain

La France est le huitième producteur de lait au niveau mondial. Elle exporte 40% de son lait. Entre 2009 et 2014, la France a vu ses exportations de lait vers l’Afrique augmenter de 125%. Un litre de lait sur dix produit en France est aujourd’hui exporté vers le continent africain, pour moitié vers l’Algérie et l’Égypte.

Tout comme l’Asie, le continent se distingue par le dynamisme de sa demande, qui a doublé au cours des vingt dernières années, alors que sa production n’a augmenté que de 45%. Les perspectives offertes par le doublement de la population africaine d’ici 2050, ainsi que sa proximité géographique, rendent le continent attirant pour les principaux exportateurs européens, en particulier l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Irlande, pays qui bénéficient le plus de la fin des quotas laitiers. D’ores et déjà, l’Afrique attire les grands industriels de la transformation laitière.

« En 2015, les plus grandes entreprises laitières mondiales ont effectué 14 acquisitions de sociétés en Afrique contre 3 en 2014. » RaboBank.

L’Afrique a-t-elle besoin des importations européennes ?

La consommation annuelle moyenne de lait par personne en Afrique est de 37 litres, contre 104 litres dans le reste du monde. Avec un taux de croissance économique moyen de plus de  5% au cours des 10 dernières années et une urbanisation rapide, le continent connait une demande de produits laitiers en forte augmentation. Face à une croissance annuelle de la consommation de 4%, peu de pays parviennent à fournir leurs marchés intérieurs et le recours aux importations est inévitable.

Parmi les 54 États du continent, le Kenya et l’Afrique du Sud font figure d’exception en réussissant à devenir autosuffisants voire exportateurs. C’est en particulier le cas du Kenya, dont l’essor de la filière laitière a été porté par une entreprise locale, Brookside, au milieu des années 90. Devenue leader de l’approvisionnement en produits laitiers en Afrique de l’Est, l’entreprise a cédé 40% de son capital à Danone en 2014. Le succès de Brookside s’est construit sur deux piliers : le respect des contrats avec 200 000 producteurs locaux, permettant de sécuriser l’approvisionnement, et une protection douanière de 60% sur la poudre de lait, protégeant le marché kényan de la concurrence extérieure.

À l’Ouest de l’Afrique, le choix des pouvoirs publics semble radicalement différent : la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) applique des droits de douane de 5% sur les poudres de lait et ce marché pourrait être complétement libéralisé avec l’Union Européenne dans les cinq ans, si les deux régions parviennent à signer un Accord de partenariat économique (APE). Le principal marché de la sous-région, le Nigeria, veille cependant à encourager sa production locale. Les autorités nigérianes négocient ainsi l’augmentation du niveau de collecte du lait local avec plusieurs industriels. Elles ont, par exemple, demandé à la coopérative hollandaise Friesland Campina, présente depuis 70 ans dans ce pays, de passer de 3% à 10% d’approvisionnement local dans les dix prochaines années. Plus largement, l’idée de protéger la filière laitière fait son chemin et la CEDEAO discute actuellement de l’opportunité d’un plan de soutien public et d’une revue des droits de douane, un ensemble de mesures appelé « offensive lait ».

Développement de la filière laitière: quelle implication pour l’agriculture familiale ?

La demande laitière africaine est portée par le dynamisme de la consommation urbaine. Le choix de la satisfaire par la production locale ou par l’importation est au centre de nombreux débats. La place dominante de la poudre de lait sur les marchés africains n’empêche pas un foisonnement d’investissements étrangers dans la filière et d’initiatives locales en matière de transformation. Dans beaucoup des pays importateurs, l’implantation de ces transformateurs fait émerger des exploitations laitières ayant des systèmes de productions plus intensifs. Dominées par des élevages péri-urbains, ces exploitations sont souvent le résultat d’investissements de fonctionnaires, de politiques, d’hommes d’affaires ou de commerçants. Bien souvent, les systèmes de collecte organisés autour de la laiterie ne permettent pas de toucher les agriculteurs familiaux plus éloignés du centre urbain et qui pratiquent un type d’élevage plus traditionnel.

Lait et tradition… L’exemple des peuls (Société d’éleveurs pasteurs d’Afrique de l’Ouest et du Centre)

 « Dans les sociétés où prévaut une idéologie pastorale, les  produits laitiers jouissent d’un statut particulier. Leur commerce est assuré par les femmes Peul, ce qui assure aux femmes une  place importante dans la société et un pouvoir économique réel. Marqueurs identitaires, leur consommation et partage lors des rites de passages tissent les liens sociaux, renforcent le sentiment d’appartenance et la cohésion du groupe. » Ocha, Musée du Quai Branly, 2012.

La portée limitée des circuits de collecte de lait complique donc l’intégration des agriculteurs familiaux dans la filière industrielle. Sans infrastructure de transport, électricité ou services vétérinaires, il est difficile pour les milieux ruraux isolés de participer à l’approvisionnement des grands centres urbains. Alors qu’en Afrique de l’Ouest seulement 2% du lait produit localement est commercialisé, on pourrait assister à un certain cloisonnement entre une production industrialisée locale ou importée, capable de répondre à la croissance urbaine, et une production d’agriculteurs familiaux en milieu rural, satisfaisant l’autoconsommation et les marchés plus informels.

La filière laitière est le symbole d’un débat qui dépasse une simple opposition entre exports européens et production locale. Elle met en avant une question majeure du développement agricole : comment faire de la croissance démographique et de l’urbanisation des leviers du développement de l’agriculture familiale africaine ?

Stéven Le Faou
Responsable du pôle information Afdi

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